Expérimentez !

Ce qui est sans doute le plus marquant dans l’œuvre des pionners de l’agroécologie (Masabonu Fukuoka, Pierre Rabhi,…)  c’est la capacité d’observation et d’expérimentation pendant de nombreuses années, et sans relâche, pour arriver finalement à des résultats impressionnants et admirables sur leur propre lieu. Ce sont souvent des décennies de constance qui permettent de tels succès.

Notre alimentation est issue de l’empirisme

Les systèmes cultivés sont tellement complexes (écosystème local, compost, sol,…) au niveau biologique et biochimique que les approches de ces pères de l’agroécologie sont forcément empiriques. L’empirisme, rappelons le, est une « méthode reposant exclusivement sur l’expérience, sur les données et excluant les systèmes a priori ». Et c’est justement sur ce point là qu’il existe aujourd’hui une déconnexion entre le monde de la recherche et celui de l’agroécologie pour laquelle nous œuvrons : dans le Petit Larousse on trouve la définition de l’adjectif empirique « Qui manque de rigueur scientifique, qui procède par tâtonnements« . Bref, dans les instituts de recherche, le mot « empirisme » est un gros mot. Le scientifique modélise. Le scientifique échafaude une théorie et la valide par une expérimentation. Le scientifique ne fait rien au hasard. Le scientifique ne fait pas d’empirisme !

Ce dénigrement pour l’empirisme peut poser question :  tout notre mode alimentaire, depuis que l’humain a cessé d’être un  chasseur-cueilleur; repose sur l’empirisme de ceux qui cultivent la terre, sèment des graines et les récoltent. Certes c’est long, et effectivement il y eu en chemin des famines, mais l’essentiel de notre alimentation repose sur un capital issu de près de 10000 ans d’empirisme acquis années après années par les centaines de millions d’expérimentateurs, pardon, de paysans. L’essentiel de la connaissance humaine sur notre alimentation repose sur ce socle. La révolution verte a changé les rendements, les modes de production, a réduit considérablement de nombre d’agriculteurs dans les pays occidentaux, ne les a pas rendu plus heureux d’ailleurs, mais n’a sûrement pas changé considérablement les plantes que nous mangeons. L’engouement retrouvé pour les variétés anciennes – créées uniquement par l’approche empirique des paysans- est là pour nous le rappeler : elles sont plus rustiques, parfois plus résistantes à de nombreuses maladies, et souvent plus goûteuses.

Le pari hasardeux de la recherche scientifique

Aujourd’hui très peu de paysans ont le loisir d’expérimenter. Les pratiques agricoles sont dictées et orientées via des techniciens par les firmes semencières. L’expérimentation reste le privilège du scientifique. Est-ce à dire que l’avenir de notre alimentation repose exclusivement sur quelques milliers de chercheurs ? Peut-on leur confier cette lourde responsabilité?

Il semble que compte-tenu des bouleversements actuels (évolution de la population mondiale, changement climatique, dégradation des sols) cela soit un pari risqué. Les systèmes biologiques auquel l’agroécologie scientifique veut s’attaquer sont d’une très grande complexité. A l’instar du génome humain, il serait très hasardeux de créer très vite des modèles simplistes. Du concept « 1 gène = 1 protéine = 1 fonction biologique » du début des années 90, nous sommes passés aujourd’hui – après quelque centaines de milliard d’euros dépensés et des milliers de Téra-octets de données stockés – à la vision d’une régulation (notamment épigénétique) d’une extrême finesse de notre propre ADN rendant complexe les fameuses thérapies génétiques, qui devaient soi-disant résoudre toutes les maladies génétiques en 10 ans. La génétique, qui paraissait très simple de prime abord, se heurte actuellement à montagne d’inconnues.

Compte-tenu des résultats de la métagénomique; qui laisse entrevoir une biodiversité microbienne insoupçonnée (plus de 10000 espèces bactériennes dans un sol cultivé), il y a fort à parier que les écosystèmes cultivés soient tout aussi complexes et que les admirables cerveaux de nos laboratoires – qui sont parfois très déconnectés de la réalité des champs – n’arrivent pas aussi vite que ça à résoudre l’équation d’une alimentation humaine saine et débarrassée des pollutions qu’elle engendre actuellement.

Cherchez et expérimentez !

Alors, il est de notre responsabilité, pour nos enfants, les générations futures, d’œuvrer tous ensemble pour faire progresser dans les pratiques agroécologiques. Toute personne ayant accès à un peu de terre peut y contribuer. Même dans un petit jardin. Observer, tester des extraits de plantes, recycler la matière organique, faire des semences. Les notions de base sont faciles à acquérir auprès de nombreux agroécologistes, et notamment les animateurs en agroécologie de notre réseau. L’intuition peut aider, l’inspiration peut motiver, la très grande richesse du jardinier par rapport au chercheur académique c’est sa totale liberté.

Pour que la connaissance progresse, il faut cependant ne pas oublier quelques points fondamentaux de l’empirisme :

  • Toute expérimentation repose sur l’observation… et parfois l’observation n’est pas chose évidente, nos yeux et nos sens ont besoin d’entraînement et de pratique.
  • L’observation d’une expérimentation est toujours aidée par un témoin. Comparer un essai avec un témoin (avec et sans telle ou telle pratique) est le plus sûr moyen d’avancer. Cette notion est trop souvent oubliée car on a souvent envie d’appliquer le « nouveau produit miracle » au jardin en entier
  •  Le seul juge de ce que vous aurez trouvé sera la reproductibilité dans l’espace et dans le temps de votre nouvelle pratique. N’hésitez pas à renouveler vous même ou à faire recommencer par quelqu’un d’autre votre expérimentation prometteuse.
  • Il ne faut jamais rester seul isolé. Transmettez vos observations autour de vous. Internet peut s’avérer être un formidable outil pour cela mais pas seulement : les espaces cultivés doivent être aussi des lieux de rencontre et de partage de connaissances. L’agroécologie crée du lien humain.

Avec l’agroécologie chacun peut être, pour lui même et pour les autres, le « chercheur » qu’il a toujours rêvé d’être. La patience et la détermination sont alors les plus grandes qualités.

 

Vincent Thareau, animateur en agroécologie